Le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes est discuté aujourd’hui à l’Assemblée Nationale. Le Sénat a adopté le 17 avril dernier le projet de loi en seconde lecture.
L’article 17 du projet de loi introduirait un troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
Actuellement, selon l’article 6 I de la LCEN, les hébergeurs et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ont l’obligation de mettre à la disposition des internautes un dispositif en ligne facilement accessible permettant à tout usager de leur signaler certains contenus illicites, la pornographie enfantine et les propos incitant à la haine raciale. Les FAI auraient désormais l’obligation de mettre en place des dispositifs de signalement de propos incitant à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, ainsi que des images de violence filmées et mises en ligne (happy slapping).
Article 6 I 7 de la LCEN : [ LesFAI] doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données. [Ils] ont également l’obligation, d’une part, d’informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites mentionnées à l’alinéa précédent qui leur seraient signalées et qu’exerceraient les destinataires de leurs services, et, d’autre part, de rendre publics les moyens qu'[ils]consacrent à la lutte contre ces activités illicites. »
L’incitation à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap est réprimé par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. L’article 227-23 du Code pénal réprime la diffusion, la fixation, l’enregistrer ou la transmission de l’image ou de la représentation d’un mineur si cette image ou cette représentation a un caractère pornographique, et l’article 222-33-3 du Code pénal réprime le happy slapping.
L’article 17 tente d’établir un équilibre la liberté d’expression et la sécurité, et c’est certes louable. Ces deux valeurs sont fondamentales dans une société démocratique. Mais qui décide finalement si certaines données sont illicites ou non ? Cela devrait être le juge, mais il ne participe pas au procédé de l’article 6 I. 7 de la LCEN.
Or, ce qui constitue un propos illicite n’est pas toujours facile à discerner, et certains propos ou images peuvent être considérés par certains comme illicites, tandis que d’autres internautes peuvent ne pas considérer qu’ils sont dépassé le seuil. C’est bien là le problème principal d’un tel système où le juge, gardien des libertés publiques, n’intervient pas.
L’article 24 de la loi du 24 juillet 1881 incrimine bien la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. C’est un délit. Une personne peut être mis en examen suite à ces faits et jugée par le tribunal correctionnel, qui décidera alors si elle est coupable de ce qu’elle est accusée. En particulier, le juge interprétera l’article 24 strictement pour décider si un comportement particulier est illicite. L’enjeu est de taille, puisque l’incitation à la haine ou à la violence en raison du sexe/handicap/orientation sexuelle est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Or, les FAI doivent considérer les propos qui leur sont signalés comme illicites et décider s’ils le sont bien, ou s’ils ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression. Il s’agit là d’un exercice périlleux. Le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 sur la LCEN avait bien précisé que les dispositions de cette loi relatives à la responsabilité des hébergeurs « ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge. »
Ce titre, signaler des propos illicites à l’hébergeur est-il finalement la meilleure des options pour un internaute ? Mieux vaut utiliser la plateforme permettant de remplir un formulaire de signalement des contenus illicites en ligne. Ces signalements sont traités par des policiers et gendarmes affectés à la Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements (PHAROS), qui est intégrée à l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication.
Un amendement a été déposé par plusieurs députés pour supprimer l’article 17 et note, à propos de PHAROS, qu’ « en 2012, la plateforme du ministère de l’Intérieur a recueilli 120 000 signalements et, selon les chiffres fournis par cet office, seuls 1329 ont été transmis pour enquêtes à la police nationale ou à la gendarmerie. Une autre voie devrait être désormais privilégiée : la saisine directe des services de police par la plateforme Pharos. Cette voie est plus efficace et rapide».
Un autre amendement visant à supprimer l’article 17 note que le « rôle des intermédiaires n’est pas celui d’une police du Net. Ces derniers n’ont ni les moyens ni la légitimité pour ce faire. Pourtant, leur responsabilité peut être engagée s’ils n’empêchent pas l’accès à des contenus illicites, dont la définition est laissée à leur appréciation ». Il note en outre que, « sur 12 000 signalements portés à [la connaissance de PHAROS], seulement 1 329 ont été transmis à la police nationale et 3 970 confiés à Interpol. (…) Compte tenu de ces statistiques, les dispositions ajoutées au Sénat risquent d’être contre-productives, les signalements de contenus dangereux pouvant se retrouver noyés dans une masse qui ne cessera de croître. »
A suivre…
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