La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 10 février 2015 un arrêt qui devrait intéresser les salariés envoyant et recevant des SMS sur des outils de communication électroniques mis à leur disposition par leur employeur.
En effet, selon la Cour de cassation, l’employeur peut prendre connaissance des SMS dont le caractère personnel n’est pas indiqué. Pourtant, indiquer qu’un SMS est personnel est difficile, voire impossible. Il semble donc bien que tous les SMS envoyés et reçus sur un outil de communication électronique appartenant à l’employeur doivent être considérés comme professionnels, et, par conséquent, peuvent être consultés par l’employeur.
Dans cette affaire, Newedge, une société française de courtage d’instruments financiers, reprochait à GFI, une société de courtage d’instruments financiers de droit anglais, une «vague de départ simultanés» et d’avoir «débauché» nombreux de ses salariés, ce qui aurait désorganisé l’activité de Newedge. Elle avait obtenu le 16 novembre 2011 une ordonnance sur requête du Président du tribunal de commerce de Paris qui l’autorisait à faire procéder à un constat dans les locaux de GFI, en produisant à l’appui de sa requête des messages SMS et des pièces reproduisant des échanges de SMS reçus et envoyés par ses anciens employés. GFI assigna Newedge en rétractation de cette ordonnance, mais le juge des référés du tribunal de commerce de Paris rejeta cette demande le 2 mars 2012. GTI interjeta appel. La Cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance en référé le 10 janvier 2013 et GFI se pourvu alors en cassation.
Le principe de la loyauté dans l’administration de la preuve
GFI avait argumenté devant la Cour d’appel que Newedge avait produit à l’appui de sa requête des pièces obtenues illicitement et déloyalement, en particulier des messages SMS, qui, selon, GFI, avaient été obtenus de manière déloyale car attentatoires aux droits des employés, en particulier leur droit à la vie privée et au secret de leur correspondance. Selon Newedge, en revanche, il existait un motif légitime, au sens de l’article 145 du Code de procédure civile, d’établir la preuve des actes de débauchage et de concurrence déloyale reprochés à GFI.
Selon GFI, il est impossible d’identifier comme « personnel » un SMS envoyé par un téléphone mobile, puisque ces messages n’ont pas de champ « objet ». Par conséquent, selon GFI, Newedge s’était procuré ces messages par un procédé déloyal qui rendait irrecevable leur production à titre de preuve, et la Cour d’appel avait violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), qui protège le droit à un procès équitable, ainsi que l’article 9 du code civil protégeant la vie privée.
Il est vrai qu’une preuve n’est pas recevable si elle est obtenue par un moyen déloyal, telle une atteinte à la vie privée. Selon l’article 8 alinéa 1 de la CESDH, toute personne a droit au secret de sa correspondance, et l’article 9 du Code civil protège le droit pour chacun au respect de sa vie privée, ce qui inclut le droit au secret de sa correspondance.
Le Salarié a le Droit au Respect de sa Vie Privée sur son Lieu de Travail
La Chambre sociale de la Cour de cassation avait rendu le 2 octobre 2001 le célèbre arrêt Nikon, au visa de l’article 8 de la CESDH et de l’article 9 du Code civil. Selon la Cour,
« le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».
En outre, la Chambre sociale avait précisé le 18 octobre 2006 que « les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ».
Dans notre affaire, la Cour d’appel de Paris avait rappelé que l’article 145 du code de procédure civile permet, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, et que les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. La Cour d’appel avait assimilé les courriels et les SMS à des dossiers ou fichiers crées par un employé en utilisant un outil informatique professionnel, et jugé que « les documents, dossiers et fichiers créés ou détenus par un salarié mis à sa disposition dans le bureau de l’entreprise sont, sauf lorsqu’il les identifie comme étant personnels, présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence; qu’il en est ainsi des messages électroniques envoyés par courriels («’emails’») ou SMS («’short message service’»).
La Cour de cassation approuva la Cour d’appel, car les SMS « envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels ».
Les messages produits comme preuve par Newedge n’avaient pas été identifiés comme personnels par les salariés, et par conséquent, Newedge n’avait pas obtenu ces preuves par un procédé déloyal au sens des articles 9 du code civil et 6, paragraphe 1, de la CESDH.
Les SMS Envoyés et Reçus sur un Outil de Communication Professionnels sont-ils toujours Professionnels ?
Est-ce à dire que les SMS envoyés et reçus en utilisant un outil de communication mis à la disposition du salarié par son employeur sont nécessairement de nature professionnelle, puisqu’il n’est pas possible d’indiquer leur nature personnelle ?
La Cour d’appel avait noté que les articles 4.1 sur la surveillance des courriers électroniques et 4.3 sur la collecte d’information de l’annexe 2 de la Charte d’utilisation des moyens de communication électronique de Newedge, qui était applicable à tous ses salariés, stipulait clairement que les messages envoyés et reçus étaient conservés et pouvaient faire l’objet de recherches à partir de mots clés. En outre, l’article 3 précisait qu’un message envoyé ou reçu depuis le poste de travail mis à la disposition de l’utilisateur revêtait un caractère professionnel. De plus, l’article 11 du règlement intérieur de Newedge indiquait que « tout membre du personnel ne doit pas utiliser les outils de communication de la société NEWEDGE à des fins personnelles».
Il est vrai que l’article 3.3 de la Charte permettait un usage raisonnable, à titre privé, des moyens de communication électroniques professionnels, mais précisaitque«sont considérés comme privés ceux comportant, à l’émission ou à la réception, le mot clé «personnel», dans le champ objet». Le juge des référés avait ainsi pu, à bon droit, déduire que les courriels et les SMS, émis et reçus sur du matériel appartenant à Newedge, et dont le caractère personnel n’était pas indiqué, étaient susceptibles de faire l’objet de recherches pour des motifs légitimes.
Il n’en demeure pas moins qu’il est techniquement impossible d’indiquer le caractère personnel d’un SMS. Est-ce que la technique va s’adapter afin d’offrir aux employés la possibilité d’indiquer le caractère personnel de leurs messages SMS ? En attendant, les salariés doivent savoir que leur employer a le droit de consulter tous les SMS envoyés et reçus sur leur téléphone professionnel…
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[…] However, personal data can be legitimately disclosed in some cases under the DPA. SMS Professionnels Peuvent Être Consultés par l'Employeur. […]