Grâce aux ressources du Web, nombreux sont les amateurs qui créent des mashups ou des remixs en combinant deux ou plusieurs compositions musicales. Les compositions originales sont disponibles en ligne, ainsi que les programmes informatiques permettant le mashup. iTunes propose même une application mashup et remix.
Ces contenus crées par les utilisateurs, user generated content, peuvent ensuite être publiés en ligne, découverts par d’autres utilisateurs, et, qui sait, utilisés dans un nouveau mashup. La roue tourne, et le public bénéficie de la vitalité de la création. Qu’en est-il des auteurs ?
Qu’est qu’un mashup ?
Le vocabulaire de la culture et de la communication publié au Journal Officiel du 22 juillet 2010 définit le mashup comme un « [a]ssemblage, au moyen d’outils numériques, d’éléments visuels ou sonores provenant de différentes sources » et propose le terme « collage » comme équivalent. Je préfère parler de mashup, parce qu’il me semble que le terme « collage » devrait être réservé aux œuvres sur papier, et que « collage » est utilisé aux États-Unis pour désigner les collages sur papier tandis que mashup est utilisé pour les compositions musicales ou audiovisuelles.
Du point de vue du droit d’auteur, il y a une utilisation d’œuvres originales. Le œuvres musicales ou audiovisuelles sont combinées (mashed) pour créer une nouvelle œuvre qui peut, elle aussi, être protégée par le droit d’auteur, si elle est originale.
Œuvres Dérivées – Œuvres Composites
Comment appeler cette nouvelle œuvre ? Les termes ‘œuvre dérivée’ et ‘œuvre composite’ sont souvent utilisés de manière équivalente en droit français, mais il existe une différence, que Bernard Edelman expliqua bien dans une note au Dalloz en 1994 (D. 1994 JP 90). L’œuvre composite « s’incorpore à une oeuvre préexistante » tandis que l’œuvre dérivée « adapte une œuvre originale, la transforme ou l’arrange ».
L’article L. 113-2 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) définit l’œuvre composite comme une « œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». Les deux auteurs, celui de l’œuvre originale et celui de l’œuvre qui en dérive, ne collaborent pas. Le CPI ne définit pas l’œuvre dérivée, mais son article L.112-3 précise que « [l]es auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ».
La Convention de Berne protège également dans son article 2.3 les œuvres dérivées « sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ». L’article 2.3 ne définit pas non plus l’œuvre dérivée, mais donne comme exemple « les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique ».
Demander la Permission
Que les mashups et les remixs soient considérées comme des œuvres dérivées ou bien composites, il faut que l’auteur de l’œuvre composite/dérivée ait la permission de l’auteur de l’œuvre originale afin de pouvoir l’utiliser. C’est ce que signifie « sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale ».
Si l’œuvre originale n’est pas dans le domaine public, ou bien si son auteur n’a pas concédé une licence à titre gratuit, telle une licence Creative Commons, l’auteur de l’œuvre dérivée/composite doit demander préalablement la permission d’utiliser l’œuvre originale.
Cette permission peut ne pas être accordée, ou bien l’auteur du mashup ou du remix néglige de demander la permission, ou bien il ne sait même pas à qui demander la permission car l’auteur est inconnu, ou bien l’auteur de l’œuvre originale a cédé ses droits patrimoniaux à un tiers lui-même inconnu. Si l’œuvre dérivée est tout de même créée, elle est alors à la merci de l’auteur (ou du titulaire des droits patrimonaix) de l’œuvre originale, qui peut décider d’attaquer en justice pour contrefaçon.
Cette incertitude juridique va peut- être laisser place à plus de certitude juridique. En effet, le ‘rapport Lescure’, remis en mai dernier au Ministre de la Culture et de la communication, appelle à la « clarification du statut juridique des œuvres transformatives » et note que les exceptions au droit d’auteur prévues par le droit français « ne permettent pas de sécuriser correctement les pratiques de «création transformative(…) dont les technologiques numériques favorisent l’essor » (T. 1 p. 36).
« le statut juridique de ces œuvres transformatives, qualifiées en droit français d’œuvres composites, reste excessivement précaire : ne pouvant généralement bénéficier des exceptions de parodie et de courte citation, les créateurs d’œuvres transformatives sont contraints de solliciter l’autorisation de tous ceux qui détiennent des droits sur les œuvres qu’ils entendent réutiliser. Les accords passés entre les sociétés de gestion collective et certaines plateformes de partage de contenus ne permettent pas, en l’état, de sécuriser ces pratiques » (T. 1 p. 36).
Quelles peuvent être les réponses du droit ? Si l’auteur du mashup/remix obtient la permission préalable de l’auteur de l’œuvre originale, aucun problème. Le droit d’auteur permet-il déjà d’autres exceptions ?
Exceptions au droit d’auteur
Le ‘rapport Lescure’ cite l’audition de l’ADAGP (Société des Auteurs Dans les Arts Graphiques et Plastiques) selon laquelle « [i]l faut résister à la tentation des exceptions ». Selon l’ADAGP, « les pratiques de remix et de mashup sont inquiétantes : il faut préserver le principe selon lequel l’autorisation de l’auteur doit être préalablement obtenue si l’œuvre d’origine est reconnaissable ; un élément essentiel à la préservation du droit moral. Au final, des évolutions similaires à celle de la législation canadienne ne seraient pas acceptables.» (Rapport Lescure T. 2 p. 34).
En effet, le Canada a modifié en 2012 son droit d’auteur et l’article 29.21(1) de la loi sur le droit d’auteur a créé un ‘safe harbor’ pour les’ contenus non commercial générés par l’utilisateur’.
Selon la loi canadienne :
Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci — déjà publiés ou mis à la disposition du public — pour créer une autre œuvre ou un autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies :
- a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est donnée qu’à de telles fins;
- b) si cela est possible dans les circonstances, la source de l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés;
- c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait;
- d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation — actuelle ou éventuelle — de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer.
Le droit moral
Le droit canadien a pris soin de protéger quelque peu le droit moral de l’auteur de l’œuvre utilisée pour le remix, puisqu’elle demande à l’auteur de l’œuvre dérivée, « si cela est possible », d’attribuer la paternité de l’œuvre utilisée dans le remix à son auteur.
Le droit français ne protège pas uniquement le droit patrimonial de l’auteur, mais également son droit moral, dont le droit de revendiquer la paternité d’une œuvre est l’un des éléments, mais aussi le droit au respect de son œuvre qui comprend le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. Selon un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 24 février 1998, « le respect dû à l’œuvre en interdit toute altération ou modification, quelle qu’en soit l’importance ». Or, un remix ou un mashup vont nécessairement altérer l’œuvre originale…
Parodie et Citation
Mais le droit français admet que l’œuvre originale soit altérée si est parodiée. L’article L. 122-5 du CPI prévoit certaines exceptions au droit d’auteur, dont certaines ont pour but de favoriser la liberté d’expression et de création, telles la citation et la parodie.
Le ‘rapport Lescure’, dans sa fiche C-9 consacrée à la création transformative à l’ère numérique, note pourtant que :
« [l]’exception de parodie ne paraît pas constituer un cadre adéquat pour la reconnaissance juridique des œuvres transformatives, dont la plupart sont dépourvus de la finalité humoristique que la jurisprudence exige au titre des« lois du genre »; elle peut toutefois être invoquée pour certaines créations, par exemple celles qui superposent, dans une intention humoristique, la bande sonore d’un film sur les images d’un autre film » (T.1 p.425).
En effet, les mashups/remixs ne devraient pas être condamnés à être humoristiques pour être légaux…
Quant à l’exception de citation, le rapport note que celle-ci est « peu opérante » car elle doit respecter plusieurs conditions : « identification de la source, respect du droit moral, brièveté de la citation, finalité critique, polémique, pédagogique, scientifique ou informative. Elle ne s’applique que très difficilement en dehors du champ littéraire ». Selon le Professeur Gautier (Propriété Littéraire et Artistique aux PUF) ,le sampling n’est pas une « citation véritable ».
Le site Numerama a indiqué que la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a demandé au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique d’étudier le régime juridique des œuvres transformatives. On peut imaginer que la publication de ce rapport précède et étaye une proposition de loi. A suivre…