Deux journalistes français avaient créé un blog sur Tumblr, ‘Le Petit XXIe » dont le thème était ‘L’actualité vue par Tintin.’ Un compte Twitter du même nom relayait les publications. Le titre du blog fait allusion au titre du journal, Le Petit Vingtième, dont Tintin était le célèbre reporter. Le Petit Vingtième était également le nom du supplément pour la jeunesse du quotidien belge « Le Vingtième Siècle », où les aventures de Tintin furent publiées pour la première fois.
Les deux journalistes faisaient sur le blog du Petit XXIe une revue de presse de l’actualité française et internationale. Chaque publication sur Tumblr comportait un titre, un lien vers un article publié sur le web, et une vignette tirée d’un album Tintin. Le fait que les vignettes illustraient de manière pertinente, sinon décalée, des faits d’actualités, rendait fors plaisant la lecture du Petit XXIe.
Mais les vignettes Tintin ne sont désormais plus visibles sur le site Tumblr. A leur place, on peut lire « This image has been removed at the request of its copyright owner.”
En effet, la société Moulinsart, qui gère les droits sur l’œuvre d’Hergé, a fait valoir ses droits patrimoniaux sur l’œuvre du célèbre auteur de bandes dessinées, et a fait retirer les vignette sur site, sans doute en utilisant une procédure DMCA (Digital Millenium Copyright Act), dont la section 512 permet à l’auteur de demander le retrait d’une œuvre publiée en ligne sans son contentement.
Un article publié au sujet du Petit XXIe sur le site du quotidien Libération cite l’un des auteurs du blog. Celui-ci se dit surpris par cette décision de la société Moulinsart, puisque le Petit XXIe ne faisait que publier des vignettes, et non une œuvre complète. Selon lui, une vignette est une citation de l’œuvre protégée et non une publication contrefaisante.
Droit de Citation
Il est vrai que le droit de citation est une exception aux droits patrimoniaux de l’auteur. Selon l’article L.122-5 3° du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), l’auteur ne peut interdire les courtes citations, si elles sont « justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». Il faut toutefois que le droit à la paternité de l’auteur soi respecté puisqu’il faut que le nom de l’auteur et la source soient indiqués « clairement ».
Le CPI ne définit pas ce qu’est une citation, et il faut s’en tenir au sens commun du terme. Le dictionnaire Littré, par exemple, définit la citation comme un « passage emprunté à un auteur qui peut faire autorité ».
Le CPI ne donne pas non plus une indication de la longueur de la citation au delà de laquelle le droit patrimonial serait bafoué. Néanmoins, si une citation n’est qu’un passage, elle se doit sans doute d’être brève.
En outre, l’article 10(1) de la convention de Berne, à laquelle la France a adhéré, dispose que « sont licites les citations tirées d’une œuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre (…)»
Enfin, l’article 5.3. (d) de la directive 2001/29 autorise les États Membres à prévoir une exception, « lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ».
La société Moulinsart a déjà fait interdire avec succès la reproduction de vignettes d’album Tintin. En ce cas, les vignettes étaient reproduites à l’intérieur de cinq livres consacrés à Tintin écrits par Robert Garcia. L’article publié sur le site de Libération indique que le service juridique de la société Moulinsart a cité la jurisprudence Garcia pour justifier sa demande de retrait.
La 1ère Chambre du Tribunal de Grande Instance de Nanterre avait accordé à Robert Garcia le bénéfice de l’exception de citation, mais la Cour d’Appel de Versailles avait infirmé le jugement
La Cour de Cassation avait confirmé la décision de la Cour d’Appel, énonçant que « les vignettes litigieuses, individualisées, sont des œuvres graphiques, protégeables en elles-mêmes, et constituent, non des citations tirées d’une œuvre mais des reproductions intégrales de l’œuvre de Hergé ».
La Cour de Cassation a pris la position que chaque vignette est une œuvre en soi, et par conséquent la reproduction d’une vignette ne peut s’analyser comme une citation, puisque l’œuvre est reproduite dans sa totalité.
Notons, qu’au contraire du droit français, le fair use américain n’interdit pas expressément la citation intégrale de l’œuvre, et des tribunaux américains ont reconnu un fair use même si l’œuvre protégée avait été intégralement reproduite.
Caricature, Parodie et Pastiche
Selon l’article L.122-5 4° du CPI, l’auteur ne peut interdire « [l]a parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ».
La Cour d’Appel de Versailles n’avait pas reconnu à Robert Garcia le bénéfice de l’exception de parodie, notant que ses ouvrages « n’ont en aucune façon pour intention de provoquer le rire ni de réaliser un travestissement comique ou humoristique de l’œuvre originale. » La Cour de Cassation n’avait pas été saisie de ce moyen et par conséquent ne se prononça pas sur ce point.
Mais plutôt que par l’exception de citation, Le Petit XXIe peut-il être protégé par l’exception de parodie ?
Le service juridique de Moulinsart indiquait dans l’email envoyé aux journalistes, que cite l’article de Libération , que Moulinsart souhaite «maintenir le caractère neutre et dépourvu d’idéologie politique (et autre) de l’œuvre d’Hergé. Nous n’autorisons en conséquence jamais son association avec ce domaine».
Certes, mais cela ne veut pas dire que les ayants-droits peuvent s’opposer à tout usage parodique de l’œuvre protégée. La parodie prend, après tout, souvent à rebrousse-poil…
Moulinsart avait également poursuivi la société Arconsil, créatrice des Éditions du Léopard Masqué, qui avait publié une série de romans dans sa collection « Les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou », un reporter free lance accompagné du perroquet Lou. Les autres personnages de la série étaient le capitaine Aiglefin, les deux policiers Yin et Yang, le professeur Margarine et Alba Fiore, écrivain belge.
Le Tribunal de Grande Instance d’Evry avait reconnu à l’éditeur en juillet 2009 l’exception de parodie et de pastiche et débouta Moulinsart de sa demande en contrefaçon, mais avait accueilli la demande du plaignant sur le terrain du parasitisme.
Notons au passage que le pastiche imite la manière dont une œuvre est exprimée pour créer une œuvre dérivée à des fins humoristiques, et la parodie est « l’imitation satirique d’un ouvrage sérieux dont on transforme comiquement le sujet ou les procédés d’expression » (CA Paris27 novembre 1990).
La Cour d’Appel de Paris confirma la décision du TGI d’Evry sur l’exception de parodie, considérant, inter alia, que « l’exception de parodie procède de la liberté d’expression qui a valeur constitutionnelle. »
Pour accueillir l’exception de parodie pour la série des Saint Tin, la Cour d’Appel de Paris avait noté en particulier que certains de éléments de ces livres étaient des « détournements cocasses… immédiatement perçus comme tels par le lecteur » et que cette « dérision potache » permet à l’œuvre dérivée de se démarquer de l’œuvre originale ».
La Cour d’Appel de Paris nota également que « le propos parodique est d’emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couvertures, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire. »
En outre, la Cour d’Appel de Paris infirma la décision du TGI qui avait retenu la responsabilité de l’éditeur sur le fondement du parasitisme. Cela semble logique, et la Cour d’Appel explique « [q]ue sauf à vider de toute portée l’exception de parodie dont il a été rappelé qu’elle procédait de la liberté d’expression, les (…) reprises [de divers éléments tirés de l’œuvre d’Hergé] stigmatisées au titre de la contrefaçon ne peuvent pas caractériser un comportement fautif parasitaire. »
Il est sans doute légalement possible de soutenir le blog du XXIe est parodie, et pourtant, il n’est plus actif, à la demande d’une des parties, celle qui est économiquement la plus importante. On peut le regretter…
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