Le Conseil d’État, statuant au contentieux, a décidé le 4 octobre dernier que lorsque l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation de travaux sur un immeuble classé monument historique, elle doit apprécier le projet soumis « non au regard de l’état de l’immeuble à la date de son classement, mais au regard de l’intérêt public, au point de vue de l’histoire ou de l’art, qui justifie cette demande de conservation ». Société Edilys c. Ministère de la Culture, n° 410590.
Un peu d’histoire
La place Vendôme, alors appelée place Louis-Le-Grand, a été édifiée entre 1689 et 1702 sur commande de Louis XIV. Jules Hardouin-Mansart, l’architecte qui créa, entre autres, la galerie des glaces du château de Versailles, en établit les plans.
Cette place, dont l’homogénéité et l’unité en font la beauté, subit dès le XVIIIème, mais surtout au cours des XIXème et XXème siècles, des transformations qui en modifièrent le plan original. Nous savons encore précisément quel était ce plan original grâce aux gravures réalisées en 1752 par Jean-François Blondel qui nous donnent une description précise de la place à la date de son complet achèvement.
La place Vendôme a été classée monument historique en 1862 et elle est désormais célèbre dans le monde entier pour ses boutiques de joaillerie.
Les travaux de rénovation de l’Hôtel de Villemaré, classé monument historique
Une société titulaire d’un fonds de commerce occupant l’Hôtel de Villemaré, au 9, Place Vendôme, souhaitait effectuer des travaux de rénovation afin d’abaisser les allèges des vitrines de sa boutique.
Selon l’alinéa 1 de l’article L. 621-9 du code du patrimoine: « L’immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l’autorité administrative ».
Il fallait par conséquent obtenir une autorisation de travaux. Le préfet de Paris rejeta cette demande en estimant que la bonne conservation de l’immeuble devait s’apprécier au regard des gravures de 1752. Le tribunal administratif de Paris rejeta la demande d’annulation de cette décision, notant que « le project de rabaisser les allèges porte atteinte à la présentation de l’immeuble et à l’ordonnancement de la place Vendôme due à Jules Hardouin-Mansart, selon les gravures de Jean-François Blondel de 1752». La société avait fait appel.
La « cristallisation » de la place Vendôme : 1752 ou bien 1862 ?
La société argumentait que l’allège des fenêtres de l’hôtel était en 1862, l’année où l’hôtel avait été classé monument historique, d’une hauteur conforme à celle envisagée dans sa demande d’autorisation de travaux.
Mais la Cour administrative d’appel de Paris avait noté que la « hauteur actuelle des allèges de l’hôtel de Villemaré résultent de travaux de réhabilitation et de restauration de sa façade effectués dans le cadre d’un précédent permis de construire accordé en 2006 afin de redonner aux baies la dimension qu’elles avaient au XVIIIème siècle, ainsi que cela est d’ailleurs notamment attesté par une planche de Jean-François Blondel ».
L’architecture de la place Vendôme avait été ainsi « cristallisée », selon la cour d’appel, à la date de 1752, l’année de la publication des gravures de Blondel.
Pour le Conseil d’État, la cour administrative d’appel avait pu souverainement apprécier que l’ordonnancement de la place pouvait s’apprécier au regard des gravures de 1752.
Le Conseil d’État nota en outre que lorsque que l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation au titre du premier alinéa de l’article L. 621-9 du code du patrimoine, elle doit apprécier le projet soumis « non au regard de l’état de l’immeuble à la date de son classement, mais au regard de l’intérêt public, au point de vue de l’histoire ou de l’art, qui justifie cette demande de conservation ».
La cour d’appel n’avait par conséquent pas commis d’erreur de droit en appréciant la configuration de la place Vendôme à la date de publication des gravures et non à celle de son classement.
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