Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée le 10 février 2021 sur le projet de loi nº 3875 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Le Chapitre II du projet de loi propose de réguler les publicités « sur les produits et services ayant un impact sur le climat excessif ». Il pourrait être ajouté un article 581‑25‑1 au Code de l’environnement interdisant la publicité en faveur des énergies fossiles, à compter d’un an suivant l’entrée en vigueur de la future loi. Un décret en Conseil d’État devrait préciser la liste des énergies fossiles concernées ainsi que les modalités qui s’appliqueront aux énergies renouvelables incorporées aux énergies fossiles.
Ce décret en Conseil d’État devra néanmoins tenir compte « des exigences d’un bon accès du public, en particulier les personnes ayant un revenu modeste, à l’information relative au prix des énergies concernées, ainsi que des obligation légales ou règlementaires qui s’imposent aux fournisseurs et distributeurs de ces énergies. » Le gouvernement semble se souvenir que le mouvement des « Gilets Jaunes » avait en partie été inspiré par la hausse du prix du carburant.
Le non-respect de ces nouvelles dispositions pourrait être puni d’une amende de 30 000 euros pour une personne physique et de 75 000 euros pour une personne morale. Ces amendes pourraient être portées au double en cas de récidive.
L’article 14 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication serait ainsi complété :
« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel promeut en outre, en matière environnementale, des codes de bonne conduite ayant notamment pour objet de réduire de manière significative les communications commerciales audiovisuelles relatives à des biens et services ayant un impact négatif sur l’environnement, en particulier au regard de leur empreinte carbone, des émissions de gaz à effet de serre qu’ils génèrent et de leur participation à la déforestation. Ces codes visent également à prévenir des communications commerciales audiovisuelles présentant favorablement l’impact environnemental de ces biens ou services. »
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel serait ainsi en charge de produire des codes de bonne conduite, une « soft law » permettant aux annonceurs de mettre en place des bonnes pratiques.
Le Conseil d’État a publié son avis sur le projet de loi le 4 février dernier. Il note que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la publicité désigne « tout moyen d’information destiné à permettre au client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou services qui lui sont proposés » et qu’ « [à] ce titre, toute restriction qui est apportée à la publicité est susceptible de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété ainsi qu’à la liberté d’expression et de constituer une entrave à la libre circulation des marchandises ou à la libre prestation de services. »
Le Conseil d’État souligne que des restrictions peuvent néanmoins être apportées à la publicité par le droit, citant, en particulier, la décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme et la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 sur la loi de modernisation de notre système de santé. En outre, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes, fait de la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, un objectif de valeur constitutionnelle. À ce titre, un autre principe de valeur constitutionnelle, la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, peut être limitée.
Le Conseil d’État note, en outre, que « la France est tenue par des engagements précis en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pris notamment dans le cadre de l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, et déclinés en objectifs chiffrés contraignants édictés au niveau de l’Union européenne ». Il en déduit que le nécessaire respect de ces engagements peut justifier des mesures « tendant à restreindre ou à interdire la publicité pour des biens ou des produits fortement consommateurs d’énergies fossiles, voire pour la consommation de telles énergies ».
Le Conseil d’État regrette, cependant, que le projet de loi énonce un principe général d’interdiction de « la publicité en faveur des énergies fossiles », mais confie au pouvoir règlementaire le soin d’en définir son champ d’application, sans préciser « le périmètre ou les effets attendus des mesures » , alors que l’étude d’impact indique simplement seront visés « l’essence, le gaz, les stations-services, les produits pétroliers, etc ». Le Conseil d’État n’a ainsi pu disposer d’éléments lui permettant de préciser le champ de l’interdiction envisagée par le projet de loi.
Le Conseil d’État souligne que le projet de loi utilise une « expression très générale » qui « ne permet pas de savoir si l’interdiction vise uniquement des publicités directes pour une source d’énergie, n’incluant pas de référence à un produit utilisant l’énergie, ou si elle concerne aussi des publicités se référant à la fois à une énergie et à un produit consommateur d’énergie ». Il estime que si la loi pourrait être entachée d’incompétence négative si elle ne désigne pas quels sont les modes de publicité et les biens et énergies visés par une mesure d’interdiction. En outre, la loi prévoit des sanctions pénales, et son manque de précision pourrait porter attente au principe de légalité des délits et des peines.
C’est pourquoi le Conseil d’Etat ne peut retenir ces dispositions. Les prochains débats à l’Assemblée Nationale seront l’occasion de voir de quelle manière les députés entendent modifier le projet de loi en tenant compte de l’avis du Conseil d’Etat.