MarabouTintin ? De L’Exception de Parodie

L’artiste français Xavier Marabout a créé une série de peintures mettant en scène le personnage de bande dessinée Tintin dans l’univers du peintre américain Edward Hopper. Le site personnel de l’artiste explique que celui-ci « utilise le regard voyeuriste et attentiste du peintre américain pour imaginer une vie sentimentale et tumultueuse à Tintin ».

L’artiste a peint d’autres séries de « mashups », des œuvres créées en empruntant et combinant des éléments d’œuvres préexistantes, en particulier une série mêlant les personnages des dessins animés de Tex Avery et les œuvres de Pablo Picasso.

Cette entreprise n’a pas été du goût de la société de droit belge Moulinsart, chargée par la fille d’Hergé, le créateur de Tintin, d’exploiter l’œuvre du dessinateur, décédé en 1983, et dont sa fille est légataire universelle.

La société Moulinsart avait mis l’artiste en demeure en 2015 de retirer de la vente ses œuvres mettant en scène Tintin et l’avait sommé de lui rendre compte du nombre de ces œuvres, de leur prix de vente et de leur période de commercialisation, afin de pouvoir apprécier son préjudice. L’artiste n’avait pas donné suite, citant l’exception de parodie.

La société Moulinsart assigna alors l’artiste en 2017, au motif que ses œuvres mettant en scène Tintin contrevenaient au droit d’auteur patrimonial dont la société Moulinsart est titulaire et qu’elles portaient en outre atteinte au droit moral exercé par la fille d’Hergé, qui demandait à ce titre une somme symbolique d’un euro.

La société Moulinsart sollicita l’interdiction de reproduction, de représentation, d’adaptation et d’exploitation des personnages créés par Hergé, sous astreinte de 1.000 euros par infraction, et demanda en outre la destruction des toutes les œuvres sous astreinte.

Le caractère de Tintin est protégé par le droit d’auteur

Le tribunal judiciaire de Rennes souligna dans son jugement du 10 mai dernier (TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478), que « les personnages illustrant les bandes-dessinées peuvent être regardés en eux-mêmes comme des œuvres protégées distinctes de l’œuvre originelle ».

Le défendeur a bien repris des éléments du personnage de Tintin, tel « le personnage de Tintin lutin, garçon roux au visage ovale, avec une houppette et porteur d’un pantalon de golfe »,  qui sont reproduits dans les mashups, mais les personnages « sont clairement attribués à l’œuvre d’Hergé » par le défendeur « et par tout public nécessairement baigné dans cet univers créé par Hergé ». Le tribunal rappela que Tintin est connu dans le monde entier, que les albums d’Hergé ont été vendus à 230 millions d’exemplaires, citant le magazine L’Express selon lequel Tintin est « aussi connu que Jésus Christ et les Beatles réunis». Le tribunal conclut que les personnages créés par Hergé sont originaux et protégés par le droit d’auteur.

Le caractère de Tintin créé par le défendeur est également protégé par le droit d’auteur

Bien qu’il soit suffisamment établi, selon le tribunal judiciaire, que le personnage créé par le défendeur est inspiré de l’œuvre d’Hergé, le défendeur a usé « de son propre génie créatif » pour faire de Tintin un homme adulte, distinct du Tintin créé par Hergé, et qui constitue « un personnage original en ce qu’il est rattaché à son auteur dont l’œuvre est caractérisée par la ligne claire ».

L’exception de parodie

Le défendeur ne contestait pas, du reste, s’être inspiré et avoir reproduit le personnage sans autorisation de la société Moulinsart, mais invoqua l’exception de parodie en défense.

L’article 5.3k de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (Directive « Société de l’information ») donne aux États membres la faculté de prévoir des exceptions au droits d’auteur, dont la parodie. En France, l’article L.122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, « compte tenu des lois du genre ».

Le tribunal judiciaire rappela que l’exception de parodie garantit la liberté d’expression des artistes, et que ce principe a valeur constitutionnelle. Le juge doit vérifier qu’il existe un juste équilibre entre la liberté d’expression de l’artiste et les droits de l’auteur dont les œuvres originales ont inspiré le parodiste.

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée

La Cour de Justice de l’Union Européenne avait défini, dans son arrêt Deckmyn c. Vandersteen, C-201/13, la parodie comme ayant :

« … pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ».

Le pastiche se distingue de la caricature, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu’« il est dans les lois du genre de [la caricature], qui se distingue en cela du pastiche, de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée » (Cass. Civ 1ère, 12 janvier 1988, 85-18.787).

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée. Selon le tribunal judiciaire, tel est « manifestement le cas en l’espèce en ce que les personnages se rattachant aux albums d’Hergé et reproduits dans les travaux [du défendeur] s’identifient sans peine ».

Le tribunal judiciaire nota que le défendeur signe ses œuvres, « de sorte que l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail [du défendeur] sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture ». Selon le tribunal, le premier regard du spectateur porte sur un ensemble évoquant l’œuvre d’Hopper, où apparait Tintin, ce qui établit « une distanciation suffisante » avec l’œuvre D’Hergé, qui « ne peut être considérée comme dominante ».

Le tribunal judiciaire souligne en outre que le support de l’œuvre parodique, un tableau acrylique, est différent de la bande dessinée. La composition des œuvres parodiques évoque certes l’œuvre d’Hergé, mais également celle d’Edward Hopper, qui est « assez différente de celle d’Hergé ».

En effet, le défendeur présente Tintin dans des situations où il n’avait pas été placé par Hergé : situations érotiques ou du moins amoureuses, assis hébété au bord d’une voie ferrée, le front ensanglanté, sans que ces représentations dénigrent ou avilissent l’œuvre d’Hergé, puisqu’elles n’ont pas de caractère pornographique. Les personnages ainsi pastichés « se trouvent dans des situations qui leurs sont habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés ».

Parodie et humour

La parodie a également un élément moral, l’humour ou la raillerie, et il faut pour cette exception soit établie que l’auteur de la parodie ait eu une intention humoristique.

Le tribunal judiciaire cite plusieurs articles de presse qui avait noté le caractère humoristique des œuvres parodique et

« cette intention humoristique est également ressentie par le tribunal qui constate que l’œuvre austère d’Hergé [est] réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre d’Edward Hopper qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ».

Le tribunal note en outre que « l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres d’Hervé » est humoristique, ainsi que l’inclusion de personnages féminins, alors que l’univers de Tintin n’en comporte que très peu, et toutes peu séduisantes, de la Castafiore à sa femme de chambre Irma.

Edward Hopper et non Hergé comme source d’inspiration

Le tribunal nota également que les titres des œuvres parodiques évoquent les tableaux d’Edward Hopper dont ils s’inspirent, tel Rupture à Cap Cop, qui évoque Cape Cod Evening, où Milou remplace le Border Collie, Tintin l’homme assis au seuil de sa maison typique de la Nouvelle Angleterre, et une jeune femme en tailleur bleu cintré remplace la femme entre deux âges qu’avait peint Hopper.

Le tribunal estima ainsi qu’il n’y avait aucun risque de confusion, et que la « première source d’inspiration [du défendeur] est celle du peintre américain. »

Il conclut que « l’inspiration artistique tient toujours compte des œuvres précédentes, avec parfois des imitations, des reproductions, lesquelles ne peuvent être interdites par principe, au cas d’espèce les citations sont claires, le risque de confusion est nul, l’exception de parodie est parfaitement recevable et fondée » et débouta les demandeurs de leurs demandes.

Dans une affaire similaire, à propos de courts romans formant la collection des « aventures de Saint-Tin et de son ami Lou », la Cour d’Appel de Paris avait confirmé en février 2011 une décision du TGI de Paris qui avait a accueilli l’exception de parodie et rejeté l’action en contrefaçon formée par la société Moulinsart et la fille d’Hergé (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 février 2011).

La trame des romans était similaire à celle des albums de Tintin, mais uniquement en ce que Saint-Tin combattait le crime aux quatre coins du monde en compagnie de ses amis. Leurs prologues, épilogues et intrigues différaient des albums de Tintin et ainsi, « tout en se nourrissant de l’œuvre d’Hergé, [ces romans] sav[aient] s’en distancier suffisamment pour éviter tout risque de confusion, ne serait-ce que par la forme romanesque adoptée et les intrigues originales qu’ils décrivent ».

Les romans étaient parodiques puisque leurs titres (Le Crado pince fort, Le vol des 714 porcineys…) et ainsi  « le propos parodique [était] d’emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couverture, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire », d’autant plus que les romans recouraient à de nombreux calembours et jeux de mots.

Voir également ce billet écrit sur ce blog en 2013 sur un autre cas encore d’une parodie de Tintin.

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