Une proposition de loi « visant à aggraver la sanction pénale applicable à l’usurpation d’identité commise par le biais de réseaux de communication électronique » a été introduite le 24 juillet par le député de l’opposition Marc Le Fur.
Selon l’article unique de cette proposition de loi, le second alinéa de l’article 226-4-1 du code pénal serait modifié afin que l’usurpation d’identité commise par le biais d’un réseau de communication électronique soit punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende
Rappelons que l’infraction d’usurpation d’identité numérique a été créée par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011.
Selon l’article 226-4-1 du Code pénal :
« Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »
Lutter contre la cybercriminalité et le cyberbullying est nécessaire, et il est certain que l’identité d’une personne puisse être usurpée sur le web à des fins malveillantes. Mais cette définition peut englober les comptes parodiques qui fleurissent sur Twitter, au risque de la protection de la liberté d’expression.
Le site de micro blogging n’interdit pas les comptes parodiques. Au contraire, selon ses conditions d’utilisation, il « offre une plateforme pour que ses utilisateurs puissent partager et recevoir un grand nombre d’idées et de contenus, d’une grande diversité. Nous apprécions et respectons énormément l’expression de nos utilisateurs. En vertu des ces principes, nous ne surveillons pas activement le contenu des utilisateurs, et nous ne modifierons ou supprimerons pas le contenu d’utilisateurs sauf en cas de violations de nos Conditions. »
Une personne parodiée pourrait-elle invoquer l’article 226-4-1 afin de faire cesser la publication du compte parodique et de condamner son auteur à des peines criminelles ?
Identité et Parodie
L’article 226-4-1 définit largement l’identité numérique comme « une ou plusieurs données de toute nature permettant [d’identifier une personne]. Selon le rapporteur de la proposition de loi de 2011, l‘identité’ recouvre « tous les identifiants électroniques de la personne, (…) son nom, mais aussi son surnom ou son pseudonyme utilisé sur Internet » (Rapp. AN. no 2271, 1ere lecture, 27 janv. 2010 p.112)
L’identité d’un utilisateur de Twitter se compose d’un nom de compte précédé d’un arobase (@nom), du nom de compte qui peut être le même que le @nom et d’un avatar. L’avatar proposé par Twitter est un simple œuf, mais l’usager peut mettre en ligne l’avatar de son choix. Dans le cas d’un compte parodique, l’avatar représente souvent la personne parodiée.
Prenons comme exemple un compte parodique célèbre chez nos voisins d’outre Manche. Selon The Sunday Times, Pippa Middleton aurait récemment consulté un cabinet d’avocat afin d’évaluer la possibilité de demander à la justice britannique de suspendre un compte parodique, @Pippatips.
Le nom du compte est @Pippatips. Il utilise le prénom de Pippa Middleton, et fait de plus allusion au livre de conseils (tips) publié par celle-ci l’an dernier, Celebrate. Le nom d’utilisateur est ‘Pippa Middleton Tips’, le nom complet de la personne parodiée et annonce que le compte Twitter donnera des conseils, comme dans le livre Celebrate.
L’avatar du compte est une photographie de Pippa Middleton habillée de jaune, l’air songeur, qui semble prise dans les tribunes d’un stade (Wimbledon ?). Miss Middleton est facilement reconnaissable, du moins pour les personnes qui suivent l’actualité heureuse de près. Nul doute que les créateurs du compte parodique utilisent l’identité numérique de Pippa Middleton. Mais l’usurpent-ils ?
Ursurpation d’Identité Numérique ou Parodie ?
Pour prouver l’usurpation de cette identité numérique, il faudrait en outre que l’élément moral de l’infraction soit prouvé, c’est-à-dire, dans le cas de l’article 226-4-1, le fait de vouloir troubler la tranquilité d’une personne, celle dont l’identité est usurpée ou bien celle d’un tiers, ou bien de porter atteinte à l’honneur de cette personne, c’est-à-dire de la diffamer.
L’infraction est effectivement similaire au délit de diffamation (atteinte à l’honneur), mais son champ d’application est plus large puisque même une simple atteinte à la tranquillité satisfait l’élément moral de l’infraction. Un bien vaste concept, sans définition précise, et qui n’est d’ailleurs utilisé en jurisprudence que pour les troubles de voisinage, qui constituent un préjudice patrimonial, alors que l’atteinte à l’honneur est une atteinte au droit de la personnalité, un préjudice extra-patrimonial.
L’article 226-4-1 du Code pénal ne prévoit aucune exception parodique, et cela peut permettre à la personne physique ou la personne morale parodiée d’invoquer un trouble à sa tranquillité afin de tenter de condamner un parodiste au détriment de la liberté d’expression, d’autant plus que le concept d’atteinte à la tranquillité est des plus flous.
La proposition de loi présentée par Mr. Le Fur exacerberait encore plus le risque d’un ‘effet refroidissant’ (chilling effect) pour la liberté d’expression sur le web en doublant les peines pénales prévues en cas d’usurpation d’identité numérique. Il aurait été de bon aloi d’ajouter à cette proposition de loi un paragraphe consacré à l’exception de parodie.