Dieudonné a été condamné le 18 mars 2015 par le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) pour avoir fait publiquement l’apologie d’un acte de terrorisme en utilisant un service de communication en ligne.
Il avait publié sur sa page Facebook le 11 janvier 2015 : « Après cette marche historique, que dis-je … Légendaire ! Instant magique égal au Big Bang qui créa l’Univers ! … ou dans une moindre mesure (plus locale) comparable au couronnement de Vercingétorix, je rentre enfin chez moi. Sachez que ce soir, je me sens Charlie Coulibaly. »
Le 11 janvier 2015 est bien sûr la date de la manifestation à Paris en hommage aux victimes de l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo du 7 janvier et des victimes de l’attaque terroriste du magasin Hyper Cacher du 9 janvier. L’auteur du crime du 9 janvier, Amedy Coulibaly, est mentionné par Dieudonné, qui déclare se sentir « Charlie Coulibaly ».
Dieudonné avait été poursuivi pour avoir fait publiquement l’apologie d’un acte de terrorisme en utilisant un service de communication en ligne.
Qu’est-ce que l’apologie du terrorisme ?
L’article 421-2-5 du code pénal a été crée par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Il réprime « [l]e fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes », une infraction punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Les peines peuvent être portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende si les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. Notons qu’avant cette loi, l’article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punissait de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation directe « aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l’apologie ». Cet alinéa a été abrogé par la loi du 13 novembre 2014, entrée en vigueur le 15 novembre 2014.
Ainsi, le délit d’apologie du terrorisme est désormais un délit de droit commun et n’est donc plus soumis au régime dérogatoire des infractions de presse, notamment le délai de trois mois de la prescription de l’action publique prévu par l’article 65, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l’impossibilité de recourir à la comparution immédiate. Cela n’est pourtant pas souhaitable. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a publié le 12 février dernier son avis sur la lutte contre les discours de haine sur internet où elle déclare que « l’apologie publique du terrorisme (…) doit continuer à relever des dispositions spécifiques du droit de la presse. La CNCDH « craint (…) que le mouvement de sortie de la loi du 29 juillet 1881 d’un certain nombre d’infractions relatives aux abus de la liberté d’expression vide cette grande loi de sa substance en lui faisant perdre sa cohérence, au risque de la marginaliser et de la voir disparaître à terme » (paragraphe 13).
En outre, ce qui constitue une « apologie » d’un acte de terrorisme n’est pas clairement défini par la loi. Une circulaire de la garde des sceaux, Madame Christiane Taubira, en date du 12 janvier 2015, définit l’apologie du terrorisme tel qu’incriminé par l’article 421-2-5 du code pénal comme le fait de « présenter ou commenter des actes de terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable ». Le TGI cita un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 décembre 2004, selon lequel l’apologie au sens de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 « n’est pas synonyme d’éloge ni de provocation directe ». Pourtant, la loi ne définit pas l’apologie ; pour la CNCDH, « il apparaît urgent que le législateur définisse précisément la notion d’apologie du terrorisme » Paragraphe 14).
Pourquoi le message publié sur Facebook a été considéré comme faisant l’apologie du terrorisme
Il fallait que soit rapportée la preuve que Dieudonné avait porté un jugement moral favorable sur les événements tragiques du 7, 8, et 9 janvier 2015. Dieudonné avait affirmé, lors de son audience, qu’il condamnait les attentats, mais qu’il s’était senti exclu de la manifestation du 11 janvier parce que le ministre de l’intérieur n’avait pas répondu à sa question sur l’emplacement où il aurait pu rejoindre le cortège en toute sécurité, et qu’il est « un humoriste traité comme un terroriste auquel on dénie la liberté d’expression ». Mais le TGI rappela que le message du comédien au ministre de l’intérieur avait été envoyé « seulement quelques heures avant le début de la marche réunissant un grand nombre de représentants étrangers et exigeant une mobilisation exceptionnelle des servies de sécurité », ainsi que le contexte dans lequel ce message Facebook avait été publié, l’attentat à Paris contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, la policière abattue à Montrouge le 8 janvier, et la prise d’otage au supermarché cacher à Paris le 9 janvier.
Le TGI rappela en outre que Je Suis Charlie est devenu une phrase utilisée « à la fois [comme] témoignage de solidarité avec les victimes de l’attentat et [comme] mouvement de soutien à la liberté d’expression », en particulier par les personnes qui avaient défilés le 11 janvier à Paris et dans d’autres villes de France. Pour le TGI, Dieudonné a ainsi « fait un amalgame provocateur entre le symbole de la liberté d’expression qui a coûté la vie à des journalistes et un auteur d’actes terroristes auquel il s’identifie ».
Selon le TGI, « [c]ette provocation pourrait relever de la satire, qui est une forme artistique d’expression, si elle n’avait pas pris une ampleur particulière au regard du contexte dans lequel le message a été publié sur Internet à un moment où l’opinion publique était encore très fortement bouleversée par les attentats commis peu auparavant et alors que les victimes n’étaient pas encore inhumées ».
Le TGI rappela également que Dieudonné a été condamné à plusieurs reprises, pour injures publiques envers un group de personnes en raison de l’appartenance ou de la non appartenance à une ethnie, une nation, une race, ou une religion, qui est un délit réprimé par l’article 33, alinéa 2 de la loi de la loi du 29 juillet 1881 (voir par exemple, Assemblée Plénière de la Cour de cassation, 16 février 2007).
Le TGI conclut que les propos tenus par Dieudonné « [faisaient] l’amalgame entre la liberté d’expression et des actes terroristes qu’il a ainsi contribué à banaliser, et en décidant (…) de les publier sur internet à destination d’un large public auprès duquel il entretient un sentiment d’hostilité à l’égard de la communauté juive [Dieudonné], qui ne pouvait ignorer l’impact de ses propos, s’est rendu coupable du délit d’apologie du terrorisme ».
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