Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé le 14 juillet dernier la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 juin 2020 (affaire R 2292/2019-1), qui avait refusé la demande par Guerlain, le 19 octobre 2018, d’enregistrer comme marque de l’Union européenne un signe tridimensionnel constitué par la forme d’un rouge à lèvres oblongue, conique et cylindrique, en classe 3, pour des « Rouges à lèvres ».
Il s’agit du nouveau rouge à lèvres Rouge G, de Guerlain, qui s’ouvre en cliquant sur un petit bouton et contient un miroir intérieur.
L’examinateur avait refusé la demande d’enregistrement le 1er août 2019 au motif de l’absence de caractère distinctif de la marque conformément à l’article 7, paragraphe 1, point b) et l’article 7, paragraphe 2, du Règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (RMUE).
Selon l’examinateur, le « consommateur pertinent percevra comme typiques des formes d’emballage des produits en cause » puisque « cet emballage n’est pas très différent d’autres formes d’emballage communément utilisées dans le commerce pour les produits en cause ».
Guerlain avait formé recours, argumentant, inter alia, que le consommateur pertinent a une attention élevée et que la « forme proposée (…) [de] coque de bateau dont l’extrémité porte sur sa surface un petit disque aux contours ovales » n’est pas « une forme commune pour les rouges à lèvres », et que la forme de l’emballage du produit est par conséquent « indépendante du produit en lui-même, celle-ci n’était pas uniquement dictée par son apparence ».
Premier refus pour absence de caractère distinctif
La Première chambre de recours de l’EUIPO avait rejeté le recours le 2 juin 2020 comme non fondé parce que la marque tridimensionnelle était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), du RMUE.
Afin de pouvoir exercer sa fonction, une marque doit identifier l’origine commerciale des produits ou services qu’elle protège afin que les consommateurs puissent connaitre l’origine du produit ou des services. Ce caractère distinctif est apprécié par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et par rapport à la perception qu’en a le public pertinent.
Selon la Première chambre de recours de l’EUIPO, le public pertinent pour les rouges à lèvres est composé de « consommateurs finaux moyens avec un degré d’attention de moyen à élevé dépendant des variations de prix des produits sur le marché », qui n’ont pas l’habitude de
« présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque ».
Afin qu’une telle marque puisse avoir un caractère distinctif, il faut, selon la Première chambre de recours de l’EUIPO, qu’elle s’écarte, « de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplir sa fonction essentielle d’origine afin de posséder un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), du RMUE ».
Or, « les rouges à-lèvres usuels existant sur le marché, ne sont pas considérablement différents » de Rouge G, et sa forme « sera perçue comme une forme fonctionnelle et pratique : un étui pour pouvoir se maquiller facilement les lèvres, et non pas comme une marque pour rouges à lèvres ».
Guerlain forma un recours contre cette décision, qui fut annulée le 14 juillet dernier par le TUE.
Annulation de la décision par le TUE
Le TUE rappelle qu’il n’est pas nécessaire qu’un signe atteigne « un certain niveau de créativité ou d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque » pour pouvoir être enregistré comme marque de l’Union européenne, si la marque permet au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services qu’elle protège. Selon une jurisprudence constante, l’originalité de la marque n’est pas un critère d’appréciation de son caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne.
Toutefois, il ne peut être exclu de prendre en compte
« l’aspect esthétique d’une marque prenant la forme de l’emballage d’un produit, en l’occurrence de son contenant, (…) parmi d’autres éléments, pour établir une différence par rapport à la norme et aux usages d’un secteur, pour autant que cet aspect esthétique soit compris comme renvoyant à l’effet visuel objectif et inhabituel produit par le design spécifique de ladite marque » (paragraphe 43).
Ainsi, l’aspect esthétique d’une marque ne doit pas être évalué d’une manière subjective, en décidant si elle est belle ou non, mais il convient de vérifier si la marque peut « générer un effet visuel objectif et inhabituel aux yeux du public pertinent » (paragraphe 44).
Le TUE constate que la forme de la marque en question « est inhabituelle pour un rouge à lèvres et diffère de toute autre forme existant sur le marché », en tenant compte des images de rouges à lèvres prises en considération par la chambre de recours comme étant la norme et les habitudes du secteur concerné.
La marque demandée, prise dans son ensemble, diffère bien de manière significative de la norme et des habitudes du secteur puisqu’elle rappelle celle d’une coque de bateau ou d’un couffin, alors que les produits prises en considération par la chambre de recours ont des formes parallélépipédiques.
De plus, le système d’ouverture de Rouge G par une charnière produit une « protubérance (…) insolite pour un tel produit et (…) contribue à l’apparence inhabituelle de cette marque ».
La forme de la marque demandée peut ainsi « être considérée comme fantaisiste pour un rouge à lèvres et diverge à ce titre de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné » (paragraphe 55), d’autant plus que la forme de la marque demandée ne permet pas de faire tenir le produit à la verticale, ce qui « renforce l’effet visuel inhabituel pour le public pertinent de cette forme pour un rouge à lèvres » (paragraphe 56).
« Partant, le public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé sera surpris par cette forme facilement mémorisable et la percevra comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres en mesure d’indiquer l’origine des produits concernés. Dès lors, c’est à tort que la chambre de recours a conclu que la marque demandée ne disposait pas d’un caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. »
Le TUE conclue que la décision attaquée devait être annulée.
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